Coeur de glace...

Le marché aux esclaves, endroit assez bruyant, véritable arène ou se jouait une joute entre les divers marchands, certains ventant les mérites physiques de leurs produits, d'autres les qualités intellectuelles, et certains allant même jusqu'à certifier que leurs esclaves enverraient n'importe qui au septième ciel... un petit concentré d'arrogance en quelque sorte.

Entre deux marchands d'esclaves se trouvaient parfois des marchands d'accessoires, étalant fièrement divers colliers, chaînes et autre joyeusetés.

Estrianna s'y promenait souvent, ceux qui la reconnaissant osaient à peine murmurer lors de son passage, de peur d'attirer son retard inquisiteur sur eux.

Son attention avait été attirée vers un petit étal sur lequel trônait un étrange instrument, sur le petit écriteau son nom y était inscrit "Poire d'angoisse". Le marchand, remarquant l'intérêt d'Estrianna pour l'objet, lui adressa la parole:

"Ô, je constate que vous avez bon goût. Peut-être souhaiteriez-vous en savoir plus?"

"Cet instrument me parait bien étrange, je serais ravie d'avoir une explication quant à son utilité."

"C'est très simple madame, vous insérez la poire dans la bouche d'un esclave trop bruyant et vous activer ce petit mécanisme, ce qui aura pour effet de l'ouvrir, bloquant ainsi la mâchoire à l'aide de ces petits crochets ici et là."

"Et qu'est-ce qui me garanti que l'esclave ne l'enlèvera pas?"

"C'est très simple! Afin de débloquer le mécanisme il faut cette petite clé. Si jamais le pauvre venait à essayer de l'enlever sans, cela aurait pour effet d'ouvrir encore plus le mécanisme et enfoncerait les crochets encore plus profondément."

"Très intéressant..."

Au moment ou elle allait demander au marchand de lui en faire livrer une demi douzaine à la prison de Sanctis, des cris l'interpelèrent. Elle se retourna afin de constater que deux gardes avaient plaqué à terre une jeune fille, une ombre en plus. Intriguée, elle s'en approcha, délaissant son marchand qui fulminait en silence d'avoir raté cette vente.

"Puis-je savoir ce qu'il ce passe ici?"

"Cette jeune fille n'est rien de plus qu'une voleuse! Elle a dérobé la bourse d'un marchand avant de s'enfuir, mais heureusement nous l'avons attrapée."

"Bien, veuillez ranger vos armes."

Les gardes s'exécutèrent pendant que l'inquisitrice s'agenouilla, puis elle glissa sa main sous le visage de la jeune fille, terrifiée, afin de la regarder.

"Mon enfant, est-ce vrai?"

Contre toutes attentes, Estrianna était calme, posée et souriante. Devant un tel visage, la voleuse fondit en larmes et s'effondra dans ses bras et elle articula légèrement:

"Oui, ma famille est très pauvre et nous n'avons presque rien à manger, c'est pour cela que j'ai commis ce vol, pardonnez-moi, s'il-vous-plaît."

"Bien, tu n'as pas à avoir peur..."

La voleuse releva la tête afin de remercier sa sauveuse d'un sourire, mais elle devient livide, et dans ses yeux se lisait la peur, venait-elle de réaliser qu'elle s'était jetée elle-même dans les bras de la mort?

Le visage de l'inquisitrice avait changé du tout au tout, glacial, hautain et implacable.

"Cependant, le vol est réservé aux faibles, et la pauvreté de ta famille est une épreuve imposée par notre Père à tous, en reniant cela, tu l'as renié lui aussi et c'est pourquoi en raison des pouvoirs qui me sont accordés, je te désigne hérétique et te condamne à la mort. Gardes veuillez la conduire à la prison de Sanctis."

Ils obéirent, tout en remettant la bourse dérobée à Estrianna, les cris de la jeune fille étaient perceptibles sur l'ensemble du marché.

L'inquisitrice alla rendre l'argent au marchand à quelques mètres de la, tous ses esclaves ayant bien sûr assisté à la scène.

"Merci à vous grande Dame, mais la punition n'est-elle pas un peu trop sévère?"

Le regard froid d'Estrianna se posa sur lui...

"Seriez-vous assez fou pour remettre en cause mon autorité? Peut-être qu'un petit séjour dans les cachots vous siérait à merveille?"

"Pardonnez-moi mon arrogance. Pour vous remerciez de m'avoir rapporté mon argent, je tiens à vous offrir un esclave! D'ailleurs j'en ai un tout nouveau, un éphèbe à la chevelure dorée..venez il est juste là."

"Ha bon? Intéressant..."

Le marchand et la Dame de glace avancèrent donc en direction de cet esclave si fantastique...

[Pardon pour le roman x)]

[Tout le plaisir est pour moi ^^]

Poire d'angoisse? Quelle connerie! Ce vieux Güldrin n'avait donc pas encore atteint le seuil de son absurdité... Poire d'angoisse... Tsss. Nergal leva les yeux au ciel, l'air blasé. Mais il ne l'était pas tant dans le fond que dans la forme, lui qui jouissait depuis le début de la matinée de sa forme humaine et n'hésitait pas à l'exposer aux rayons du soleil qui la rendaient toujours plus dorée qu'elle ne l'était à l'origine. Il adorait ça. Cette sensation que tout son corps n'était qu'or pur, qu'il avait une très grande valeur et que cette particularité le situait au-dessus des autres créatures de ces terres... Il adorait ça. Mais alors qu'il passait mollement une main dans sa délicieuse crinière, allongé sur le divan que son propriétaire lui avait gracieusement fourni, une grande dame aux allures de Chevalière accosta l'immonde bâtard qui le possédait. Le vif intérêt qu'elle portait à ces stupides et grossières "poires" n'attira qu'un bref haussement des épaules d'or ainsi qu'un soupir d'indifférence. L'espace de quelques secondes, il s'était imaginé pouvoir s'amuser un peu. La faire rager, l'humilier publiquement, ou même la couvrir d'injure si l'envie lui plaisait... Mais ce ne fut effectivement que l'espace de quelques infimes secondes. Son enthousiasme se dissipa à la vue de son énorme épée et -surtout- de sa musculature. Musculature assez bien développée chez une jeune femme pour que celle-ci paraisse louche. Qui plus est, son visage lui disait vaguement quelque chose... mais ses grands yeux roses étaient plus froids que le quartz, aussi retourna-t-il à son bronzage...


Cinq minutes plus tard, un ramdam infernal le sortit brutalement de sa torpeur. Il grogna. Se retourna. Son ventre plat se blottit contre la fourrure brune qui recouvrait son divan. Ses grands yeux prirent une teinte turquoise en cherchant la source de ce raffût. Encore elle? Décidément, pas gênée la vieille. Elle se croyait où avec ses grands airs et son armure? Tsss. Pauvre mouflette, se faire traîner en prison de la sorte à cause d'une poignée d'or.

Soudain, le blond secoua la tête. Qu'est-ce qui lui prenait tout à coup? Avoir des pensées si charitables envers une petite traînée de Sanctis et si blasphématoires envers la Sainte Monnaie?! L'indignation et le mépris envers ses propres pensées -qu'il qualifiait en l'occurrence de malsaines- lui donna une irrésistible envie de se fouetter... Mais il n'eut aucun besoin de faire cet effort. Jies, le bras droit de Güldrin, l'avait fait à sa place. Le jeune éphèbe serra les dents tandis que les grosses mains du colosse joignaient d'un geste ses poignets dans son dos, l'immobilisant à la perfection. Un éclair de lucidité traversa soudain l'esprit de Nergal... Il comprit.

- Ah non! Non... Pas encore! Ca fait deux fois aujourd'hui!

Le colosse ne répondit rien, se contentant de défaire le noeud de la simple corde qui servait à maintenir en place la robe du jeune polymorphe. Le tissu glissa sur la peau nacrée, dévoilant totalement le corps du malheureux qui tentait vainement se se défaire de l'emprise du monstre.

- Arrête ça, lourdeau! C'est trop douloureux, ça suffit!

Mais les injonctions du plus faible restaient vaines. Il montra un semblant de résistance, puis finit par se résigner totalement. Sachant pertinemment qu'il n'y échapperait pas, il se détendit, pensa à autre chose... Il sentit la pression sur le bas de son dos. Lâcha un râle en laissant l'aiguille pénétrer sa chair. Ses mâchoires se crispèrent, et l'aiguille quitta sa fesse gauche. Jies ôta ses mains et balança la seringue à l'extérieur de la cage. Il souleva la maigre silhouette et la laissa retomber lourdement sur le sol, profitant de sa douleur pour en rajouter une couche avec un bon coup de fouet. Cette fois, le polymorphe ne put s'empêcher de grimacer... Et peu à peu, son visage se tordit réellement de douleur. Ses cheveux et ses ongles poussaient à vue d'oeil, alors que deux nouveaux membres poussaient au niveau de l'aine, étirant sa peau et déformant ses muscles... Heureusement, le spectacle n'était pas accessible aux passants, car la cage avait été préalablement recouverte d'une épaisse couverture.

La métamorphose ne dura pas plus d'une minute, mais c'était assez de douleur pour en paraître cent. Lorsque la grande Dame revint à la charge, traînée par cet idiot de Güldrin, la couverture fut retirée. La pleine lumière s'infiltra dans la cage, révélant le sinistre spectacle d'un centaure ailé aux cheveux entremêlés. Bête constituée de peau, de poils et de plumes, mais dont chaque parcelle semblait faite d'or. Lentement, des bras faibles soulevèrent des épaules fatiguées. Ses omoplates saillantes rendaient compte de son extrême maigreur. Puis un visage apparut entre deux grosses mèches dorées. De grands yeux bleus pétillants de malice et un sourire moqueur furent adressés à la guerrière. Güldrin, irrité, lui aboya un ordre qu'il ignora. Mais il continuait de sourire. Son corps enfin remis de ses souffrances se redressa fièrement. Les sabots luisants claquèrent contre le sol métallique. Les ailes se plièrent soigneusement sur ses flancs. Mais son sourire perdurait.

- Que vient faire cette ribaude sur mon étalage?

Le gros marchand rougit de colère. Aussitôt, l'extrêmité de son fouet vint claquer contre la croupe du polymorphe.

- Eh! ça fait mal! Sois plus doux avec ton gagne-pain, sinistre abruti.

Cette fois, le cuir alla gentiment chatouiller sa joue, lui laissant une belle marque violacée.

- Quel gagne-pain?! Tu m'as attiré plus d'ennui que de recettes, et tu peux t'estimer heureux que je ne t'aie pas laissé crever en plein désert.

- Quel beau geste... Alarin t'en est sûrement très reconnaissant.

Son expression s'était faite encore plus grinçante et le cynisme de sa voix soulignait l'ironie de ses propos. Le marchnd jura. Le fouetta encore. Et encore...

Peste soit de cette maudite marque! Non seulement le noir charbon faisait tâche sur sa belle peau dorée, mais en plus il avait permis à la Grande Dame -dont le nom allait bientôt lui revenir- de le reconnaître. Blaumeux, c'était cela. Cette vieille sorcière n'avait pas pris une ride en plus. La garce. Le frisson qui l'avait parcouru lorsqu'elle avait posé ses sales mains de fer sur son magnifique corps ne cessait de lui filer la chair de poule. Cette femme ne lui inspirait rien de bon. Son regard, ses manières, sa voix glaciale... et ses idées saugrenues. Le centaure déglutit. Le transformer en presse-papier-givré? Elle le ferait. Il en mettrait sa langue à couper. Son sourire insolent disparut bien vite, laissant place à une expression... morne. Celle de l'esclave fatigué et ennuyé qui ne s'étonne plus de rien. Belle façade, assez neutre pour que la dame ne s'offusque pas davantage, assez neutre pour que sa fierté ne soit pas abîmée. Il put ainsi prendre le temps de réfléchir...

Nergal regarda le bout de glace se briser dans la main de l'Inquisitrice et fit une moue contrariée. Il avait un plan. Et la jolie pierre qu'il avait vue incrustée sur le diadème de la guerrière l'avait grandement aidé à l'échafauder. Les deux mains se levèrent à hauteur du visage de son interlocutrice et empoignèrent les barreaux de la cage. Un mince sourire avait pris place sur ses lèvres.

- Hé bien, pour tout vous dire, je ne suis pas mécontent que votre noble personne soit passée par là cet après-midi. Très franchement, ce vieux bougre (il désigna Güldrin du bout de l'index) m'insupporte ces temps-ci et cette cage me parait de plus en plus étroite. N'est-ce pas cruel d'enfermer un pauvre centaure innocent dans un si petit enclos, sans jamais lui laisser l'occasion de galoper dans de vertes prairies ni d'être utile à qui que ce soit? Je ne sais pas de qui vous parliez, mais s'il est en prison c'est qu'il a commis une faute. Moi, je suis enchaîné. Et le seul à avoir fait une faute ici est mon maître, pour ne pas m'avoir encore vendu à vos mains expertes...

Il doutait que son regard charmeur ne soit assez puissant pour faire fondre un coeur tel que celui de sa petite Inquisitrice préférée, mais qui ne tente rien n'a rien. Et puis, il avait sacrément envie de sortir d'ici. (Au point d'accepter volontiers de se faire acheter par cette espèce de démone au regard venimeux, c'est pour dire!) L'obscurité, la souffrance, la faim, la pauvreté, la sobriété... sans compter cette impression de n'avoir aucune utilité... tout ça le rendait malade. Il maigrissait à vue d'oeil et savait pertinemment que s'il ne découvrait pas un nouvel environnement dans les plus brefs délais, il finirait par mourir d'ennui et de solitude.

- Güldrin, quel est ton prix?

Le manant grommela.

- Tu m'exaspères tellement que je pourrais même payer pour qu'on me débarrasse de toi, sale canasson.

Le centaure sourit, amusé. Il tourna ses grands yeux, qui cette fois rayonnaient d'une lueur verte, vers l'inquisitrice.

- Il exagère. Je ne suis pas si mauvais que cela. La vérité est que vous l'impressionnez grandement. Il n'ose pas vous faire payer, voilà tout. Et ce à cause de votre carrure. Non pas que votre charme soit inefficace, mais votre épée semble plus vorace. Moi-même je suis intimidé par elle. Croyez-moi, je n'ai pas beaucoup de courage. Alors comment pourrais-je vous faire le moindre tort si je vous crains? Rendez service à un brave commerçant et faites d'un hybride malheureux une superbe décoration vivante pour votre demeure... ou une ménagère accomplie... ou un danseur émérite... ou une simple distraction du soir... ou que sais-je encore!

Il termina son discours par un charmant sourire, espérant de tout coeur que la dame accepte l'affaire. Sinon il ne lui resterait plus qu'à attendre qu'une autre ombre ait pitié de lui, ou que Güldrin finisse par mettre ses menaces à exécution.